L'historien local Georges Fouassier, jamais à court de sujet, vient d'écrire quelques pages sur l'histoire d'une modeste fougère, qu'il voit pousser dans son jardin à Ménil (Mayenne) près de Château-Gontier. Pour quelle raison ? "Avant tout, son parcours remarquable, disons-le, unique, et l'attention tout à fait exceptionnelle qui l'a entourée pendant si longtemps." Voilà bien des mystères qui peuvent surprendre et qui suscitent l'intérêt.
Un devoir de mémoire contre l'oubli
"On peut, arbitrairement, faire démarrer cette histoire en 1913, année au cours de laquelle Roger Chevrier, un petit gars de Seine-et-Marne, est appelé sous les drapeaux. Un devoir pour tous les jeunes Français, et que Roger, avec l'insouciance de ses 20 ans, aborde sans problème particulier." Il ne se doute pas que 1913 précède... 1914, l'année du début du premier conflit mondial, l'un des plus meurtriers de l'histoire. "Le voilà envoyé dans la tourmente, comme des centaines de milliers de ses compatriotes, pour affronter les envahisseurs, dans la boue et les tranchées." Georges Fouassier raconte que "pour faire face à l'ennemi, l'armée lui a confié, ainsi qu'à un autre soldat qu'il ne connaît pas, nommé René, l'usage d'une impressionnante mitrailleuse, bien plus redoutable qu'un simple fusil Lebel, et qui va les rapprocher dans les combats durant tant de moments difficiles !" L'un est affecté au tir, l'autre à l'observation de l'ennemi tout en déroulant les bandes de balles hors des caisses de munitions. "Une amitié naît, forgée par les mille et une angoisses quotidiennes, jusqu'au jour où, dans les années 1916-1917, dans la région de Toul, le sort n'est plus là pour les protéger. Un obus explose à proximité de leur position et René meurt, criblé d'éclats".
Roger Chevrier, épargné miraculeusement, aura beaucoup de mal à se remettre de cette disparition. La guerre terminée, il reprit son emploi de cheminot à la société PLM (ancêtre de la SNCF). Il se maria, eut trois enfants et prit, un jour, la décision, qui depuis un certain temps le taraudait. "Pour être en règle avec sa conscience, tirer un trait sur le passé et repartir en paix dans une nouvelle vie, il décida de retourner là-bas, en Meurthe-et-Moselle, une dernière fois pour revoir ces lieux qu'il ne pouvait oublier." Entre 1920 et 1922, le voilà de retour dans un environnement qu'il reconnaît à peine, "et c'est surtout le cimetière qui l'attire, là où repose René, son frère de combat. En sortant, l'instinct fraternel le pousse à faire un geste quasiment inconscient : au pied du mur du cimetière, une fougère sauvage pousse là, parmi d'autres et, instinctivement, il la déterre et l'emporte avec lui". Cette marque de fidélité que représente cette plante et qui, à ses yeux, est "un devoir nécessaire contre l'oubli", le suivra jusqu'à la fin de ses jours. Elle l'accompagnera dans la banlieue parisienne puis dans le jardinet de sa maison, au sein d'un petit village de Seine-et-Marne. "Si beaucoup d'anciens combattants arboraient fièrement une marque du souvenir, croix de guerre ou médaille militaire, Roger se contentera modestement de veiller sur sa fougère mosellane. Grand-père Roger était simple, sentimental."
Une dernière transplantation
Vers la fin des années 1980, quand le dernier survivant du couple disparut, il fallut vendre la petite maison, "chère à toute la famille. Alors ma femme, qui avait adoré son grand-père chéri, voulut, à son tour, lutter contre l'oubli. Quand elle déterra la modeste fougère, ce n'était plus pour prolonger le souvenir de René, mais pour emporter avec elle tout ce qui représentait son cher grand-père". Et c'est une quatrième transplantation que fit la plante sauvage pour se retrouver, aujourd'hui, dans un jardin à Ménil. "Plus d'un siècle après la fin de la Grande Guerre, elle est encore là, bien vivante, plus chargée de souvenirs. À la vue de ses feuilles vivaces, ce qu'elle porte c'est la courte vie de ce pauvre René, la rassurante présence de pépé Roger, le chef de clan, l'environnement familial chaleureux en Seine-et-Marne, le souvenir de ma femme qui y fut heureuse [...]" La fougère sera transplantée encore une dernière fois. Georges Fouassier conclut : "Le maire de Ménil a donné son accord, à la suite d'une lettre que je lui ai adressée, pour mettre cette fougère au pied du monument aux morts, cet hiver. Je pense, honnêtement, que c'est sa destinée."
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